Quand les restes humains retrouvés en contexte de fouilles sont passés sous le scrutin des techniques de la biologie, on obtient la bio-archéologie. Alors que l’anthropologie forensique ou physique se contentait de mesurer, de comparer et d’observer en surface les ossements et les dents, l’intégration progressive de techniques et de matériels issues de la biologie ont permis d’obtenir des données parfois insoupçonnées sur les groupes culturels du passé. Knussel (2010, 22) la définit de la manière suivante :
“Son but est de synthétiser les aspects biologiques et culturels du domaine funéraire pour mieux s’intéresser aux questions archéologiques et anthropologiques et mieux comprendre les sépultures dans leurs contextes culturelles, sociales et politiques.”
Pour vous donner une idée un peu plus précise du sujet, nous vous invitons à faire un tour sur le site du Centre de Bio-Archéologie et d’Ecologie (UMR5455 du CNRS) situé à Montpellier.
L’idée de publier un numéro d’Arqueología mexicana est par conséquent tout sauf saugrenue. Elle a probablement son origine dans la récente tenue du premier colloque de bio-archéologie, célébré en grande pompe au Colegio Nacional, sous les bons auspices d’Eduardo Matos Moctezuma, membre de la prestigieuse institution et lui-même anthropologue physique de formation.
Le dossier principal de ce numéro 143 d’Arqueología mexicana est formé de huit articles dont nous vous proposons un rapide aperçu dans les lignes suivantes. C’est Ximena Chávez Balderas, archéologue et anthropologue physique, qui s’est chargé de nous présenter cette discipline qu’elle a brillamment mis en pratique lors de son long travail au Proyecto Templo Mayor dirigé par Leonardo López Luján. Elle insiste notamment sur la grande variété de thèmes qu’aborde la bio-archéologie comme le sacrifice humain, le régime alimentaire, la paléodémographie, etc.
Avec Lourdes Márquez, anthropologue physique et professeur émérite de l’INAH, on découvre la place réservée aux enfants de moins de 15 ans qui représentaient la moitié des populations préhispaniques selon certaines estimations. L’auteure propose un questionnement global qui concerne autant la santé que le statut social ou les us et coutumes funéraires les concernant. La réflexion de Márquez revient aussi sur le type d’enfants sacrifiés.
Juan Joel Hernández Olvera et Jorge Nukyen Archer Velasco nous offre une réflexion sur les différentes analyses qui peuvent être entreprises sur les dents. D’une grande résistance au passage du temps, elles permettent de calculer l’âge d’un individu en fonction de leur développement, d’identifier certaines maladies sexuellement transmises ou anémies, voir même le régime alimentaire. Hernández et Archer ont notamment étudié la Femme de Tlailotlacan, spectaculaire découverte annoncée en 2015 dans un quartier oaxacain de Teotihuacan.
Anthropologue physique versé dans les conditions de santé et les maladies, John Verano explique les apports de la bio-archéologie dans l’étude de la violence et de la guerre dans les sociétés préhispaniques. Les traumas des batailles peuvent clairement être observés sur les ossements. Pour illustrer son propos, l’auteur nous expose ses travaux effectués sur différents corps retrouvés au Pérou.
Reconnue pour ses nombreux apports à l’anthropologie physique des anciens Mayas, Vera Tiesler enseigne l’anthropologie physique à l’Université Autonome du Yucatán. Elle nous explique comment les modifications du corps, que ce soit au moyen de labrets, d’incrustations, de perforations, de modifications céphaliques peuvent être observés directement sur les restes osseux ou déduites grâce au contexte archéologique.
L’archéologue français Grégory Pereira a participé à ce dossier en nous proposant une introduction à la bio-archéologie des pratiques funéraires. Rompu à des fouilles dans des contextes très variés, il nous présente des résultats avancés sur une sépulture retrouvée à Guadalupe, Michoacan. L’auteur explique qu’il s’agit “d’un bon exemple de la complexité que peuvent avoir les pratiques funéraires et de l’importance d’examiner en détail autant la disposition des restes osseux que les autres matériels afin de reconstruire la séquence rituelle.”
Après l’introduction de ce dossier, Ximena Chávez revient à un de ces thèmes de prédilection avec un article sur la bio-archéologie du sacrifice. Elle y compare différents contextes teotihuacains et mexicains pour rappeler successivement l’origine mythique du sacrifice et sa fonction de rénovation mythologique. Elle rappelle aussi les plus anciennes traces de décapitation observées à Coxcatlán sur deux enfants remontant à 5750 avant Jésus-Christ ou encore les sacrifices de masse effectués lors de l’inauguration de la Pyramide du Serpent à plumes de Teotihuacan. Puis elle avance directement aux sacrifices observés à Tenochtitlan et explique notamment la technique de décapitation utilisée par les sacrificateurs. La victime était allongé sur le dos et frappée entre la troisième et la septième vertèbre cervical. Ce rituel macabre se poursuivait par le retrait des disques intervertébraux, facilitant ainsi le traitement post mortem. Mais elle rappelle aussi qu’il existait des traitements complémentaires complexe comme le dépècement ou le décharnement. Ces derniers étaient utilisés lorsqu’il s’agissait d’enfiler les crânes sur le tzompantli.
Enfin la bio-archéologie peut utiliser la génétique et la géochimie pour réfléchir sur les mouvements de populations dans une macro-région. C’est ce que Diana Bustos Ríos et Alan Barrera Huerta nous explique dans le dernier de ce dossier. En fait ce sont les isotopes de strontium qui aident l’archéologue à déterminer l’origine et les lieux où a vécu un indiviidu. Pour faire simple, ce que nous mangeons indiquent d’où nous venons. Des analyses génétiques peuvent compléter les premières et nous font comprendre combien les migrations forcés ou volontaires à Tenochtitlan étaient somme toute courantes. Elles indiquent le poids social et économique de la capitale mexica. Il ne fait aucun doute que ce genre de procédés peut être répété dans d’autres grands centres urbains mésoaméricains.
En marge de ce thème patiemment traité, on notera un nouvel article de Leonardo López Luján. Notre collègue du Templo Mayor a laissé de côté l’histoire de l’archéologie mexicaine et les explorateurs du XIXe siècle pour s’intéresser à la sculpture dans l’ancienne Coyoacán et présenter un marqueur de jeu de balle et une tête de serpent.
L’an dernier, l’INAH annonçait une découverte qui renvoie aux premières décennies de la Conquête spirituelle de la Nouvelle-Espagne. Le Programme d’Archéologie Urbaine dirigé par Raúl Barrera fut choisie pour fouiller la tombe de Miguel de Palomaresm situé dans les fondations de l’Église Majeure édifiée en 1524. C’est cette fouille de sauvetage que nous raconte l’article signé par Barrera, José María García, Lorena Medina et... l’inévitable Ximena Chávez Balderas.
Vers la fin de la revue, le lecteur lira un article rédigé par Ivan Sprajc et Pedro Sanchez-Nava sur l’observation des orientations lunaires dans l’architecture maya. Ce travail s’inscrit dans un cadre plus large d’observations astronomiques entreprises par le chercheur slovène sur l’archéoastronomie en zone maya. Le choix des auteurs n’est pas innocent : la Lune possède un symbolisme puissant et varié dans la cosmovision des anciens groupes mayas. Ils n’en ont pas moins été surpris par le rapport des alignements avec les positions extrêmes de la Lune à l’horizon, notamment à Tulum et San Gervasio.
Dans une présentation de l’aqueduc du Padre Tembleque à Otumba et à Zempoala, l’historienne María Castañeda de la Luz, s’en tient à présenter un monument qui a été inscrit en 2015 sur les listes du Patrimoine mondiale de l’UNESCO. On en retient les difficultés de construction et l’histoire singulière de son exploitation.
Aqueduc du Padre Tembleque, Hidalgo, Mexique, XVIe siècle
Carmelita Thierry
Enfin on retrouve les traditionnelles rubriques de la revue. Manuel Hermann Lejarazu passe au crible les pages 49 et 51 du Codex Vindobonensis : ce document explique une série de rituels et d’actes fondateurs effectués par Ehecatl. Le spécialiste des codex, Xavier Noguez, nous présente un document élaboré en 1595 sur lequel figure le blason de Tzintzuntzan. Elisa Ramírez propose les traductions d’une série d’augures nahuas, triquis, chontales et huaves. María Castañeda de la Paz poursuit sa série sur la maison royale de Tenochtitlan avec le fils d’Acamapichtli, Huitzilíhuitl, qui fut intronisé selon certaines chroniques en 1397. La chercheuse de l’UNAM a récemment mis en ligne une autre publication sur ce thème dans la revue polonaise Itinerarios (2016). Enfin Eduardo Matos revient sur les débuts d’un vaste projet de recherches par Manuel Gamio en 1917, lequel se terminera avec la publication de La población del Valle de Teotihuacan, véritable somme anthropologique innovante, cinq ans plus tard.
Vous l’aurez compris probablement au terme de ce compte-rendu : nous sommes ce que nous mangeons ! La bio-archéologie est une science très précise et suffisamment fiable pour nos proposer des éléments scientifiques qui n’ont rien à voir le régime paléo. En revanche, ne détartrez pas trop souvent vos dents : le tartre et la plaque sont les amis des bio-archéologues !
Références bibliographiques
Castañeda de la Paz, M. (2016). El árbol genealógico de la casa real de Tenochtitlan en el Códice Mexicanus, Itinerarios, 24, 123-146. [Document PDF] disponible sur http://itinerarios.uw.edu.pl/wp-content/uploads/2016/12/7_Maria-Castaneda.pdf
Knusel, C.J. (2010). Bioarchaeology: A Synthetic Approach/Bio-archéologie: Une Approche Synthétique, Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, 22, 62-73.
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