Accéder au contenu principal

Dans le tourbillon de Pantitlan

Sur la liste d'Aztlan, Kim Goldsmith, archéologue américaine pour l'INAH travaillant à Teotihuacan , posait la question des références coloniales quant au thème des tourbillons sur la grande lagune de Mexico-Tenochtitlan et disait imaginer un trésor caché des Aztèques à l'emplacement du grand tourbillon de Pantitlan. Expliquons un peu ce qu'elle entend par tout cela.

Tout d'abord, il faut faire appel aux différentes sources coloniales. Commençons avec Sahagun et ses informateurs. Dans l'Historia general de las cosas de Nueva España, on apprend que, lors de la première vingtaine d'Atlcahualo (Arrêt des eaux, c'est-à-dire le début de la saison sèche), on faisait une grande fête pour les dieux de l'eau ou de la pluie appelés Tlaloques.

On achetait des petits enfants pas encore sevrés à leur mère, après avoir vérifié que leur implantation capillaire comptait avec deux "tourbillons" sur la tête. La date de naissance, si importante, devait être faste. On emmenait les enfants sur les monts alentours où on avait fait voeu d'offrandes afin de leur retirer le coeur. D'autres étaient emmenés dans d'autres endroits de la lagune. Sahagun cite notamment Tepetzinco et Tepepulco comme montagnes et mentionne le tourbillon de Pantitlan. Les victimes étaient ornées d'epnepanuihqui, un ornement croisé de coquillages, typique du Tlalocan.
Pantitlan, in Florentine Codex, I, ill. 33
Image retrouvée le 7/04/2009 sur http://sites.estvideo.net/malinal/nahuatl.page.html ,
s.v. "pantitlan"

Motolinia reprend l'information de Sahagun selon laquelle les victimes à Tlaloc étaient un garçonnet et une fillette de trois ou quatre ans mais enfants de seigneurs. Tezozomoc confirme ce sacrifice en rapportant les mises à morts d'enfants de seigneurs, effectuées après l'inondation de Tenochtitlan provoquée par la rupture de l'aqueduc d'Ahuizotl. Ce dernier fut lui-même une des très nombreuses victimes de la catastrophe, même si ce fut de manière indirecte.
Les Anales de Tlatelolco (p. 34, paragraphe 125) et la Leyenda de los Soles (1975 : p. 126) rapportent comment le chef des Mexicas alors non sédentarisés, Tozcuecuex, dût sacrifier sa propre fille Quetzalxochitizin dans le tourbillon de Pantitlan pour en finir avec la famine qui les frappait.
Selon la corrélation effectuée par Graulich (p.116), cette quinzaine était originellement placée entre le 19 et 29 septembre avant de se décaler entre le 13 février et le 4 mars au moment de la conquête espagnol.

Il est intéressant de voir comment le tourbillon de Pantitlan a pris une connotation historico-mythique au delà de son utilité religieuse et rituelle. Graulich (2005: 208) explique que le sacrifice d'enfants n'est pas une tradition aztèque. Ce rituel avait cours à Teotihuacan au début du Classique. Nous avons précédemment expliqué qu'on pouvait "réquisitionner" les enfants afin de les sacrifier. Duran apporte une nuance de taille : les parents pouvaient vendre leur progéniture, lorsqu'elle avait un comportement inadéquat. Apparemment chez les Pipils du Guatemala, cette règle avait également cours (Carta del Licenciado Palacios). Les Nicaraos, tribu de langue nahua qui vivait sur le territoire de l'actuel Nicaragua, pratiquait le sacrifice d'enfants pour attirer la pluie. Car n'oublions pas le caractère propitiatoire de ces sacrifices. Ils avaient lieu lors de fêtes régulières ou lorsque les circonstances météorologiques, en l'occurence la sécheresse, l'exigeaient. D'autres indices font penser que les enfants sacrifiés étaient destinés à Quetzalcoatl ou à Tezcatlipoca.

Mais comment expliquer les sacrifices effectuées au tourbillon de Pantitlan? D'après ce que rapporte Duran (op. cit., p. ), on croyait le tourbillon en connexion directe avec le monde souterrain de Tlaloc puisque les eaux montantes en surgissaient pendant la saison des pluies. Graulich établit un parallèle entre ce "trou dans le lagune" et celui, mythique et rapporté par Tezozomoc, présent sur le terrain de jeu de balle construit par les Mexicas à leur arrivée sur le Coatepec. Le sacrifice des enfants à Pantitlan ne fait que rappeler un rituel plus communément répandu et basée sur la croyance selon laquelle les nourissons mort-nés allaient servir le dieu Tlaloc dans son royaume de l'inframonde où ils y connaissaient les délices et ignoraient sous les souffrances. Pour être plus précis, Sahagun parle du Chichihuacauhco, "Lieu de l'Arbre nourricier" où les enfants morts en bas âge pouvaient boire le lait de l'arbre nourricier.

Références bibliographiques :
H. Berlin et R. Barlow (éds.). 1948. Anales de Tlatelolco. Unos annales históricos de la nación mexicana y Codice Tlatelolco, Robredo, Mexico.
Carta del Licenciado Palacios. 1982. Relaciones geograficas de Guatemala del siglo XVI : Guatemala. René Acuña, UNAM, Mexico.
Codex Chimalpopoca. Anales de Cuauhtitlan et Leyenda de los soles. 1975. Feliciano Velazquez (éd.), UNAM, p. 119-128.
Duran, Diego de. 2002. Historia de las Indias de Nueva España e islas de la Tierra Firme. Coll. Cien de México, Conaculta, Mexico.
Graulich, Michel. 2005. Le sacrifice humain chez les Aztèques. Fayard, Paris.
Leyenda de los soles, cf. Codex Chimalpopoca, 1975.
Sahagún, Bernardino de. 19 . Historia general de las cosas de Nueva España. Coll. Cien de México, CONACULTA, Mexico.
Tezozomoc, Alvarado de. 1998 . Cronica Mexicayotl. UNAM, Mexico, p. 81.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Arqueologia Mexicana n°99

Avec le titre "De la crónica a la arqueología: visión de cinco ciudades prehispánicas", l'editorial propose une levée bimestrielle un peu moins rutilante que son précédent numéro sur Moctezuma. En même temps, il est difficile de faire plus fort que celui qui reste une figure importante de l'identité mexicaine. Faisons donc un rapide tour du propriétaire. Après les quelques brêves rappelant les fouilles à Chichen Itza, la restauration de la petite pyramide ronde du métro Pino Suarez ou la sortie du catalogue de l'exposition Moctezuma. Azteca Ruler, co-édité par Leonardo Lopez Lujan et Colin Mc Ewan, on peut lire l'hommage rendu par Eduardo Matos Moctezuma au Dr Miguel Leon-Portilla pour les 50 ans de la publication Visión de los Vencidos: relaciones indigenas de la Conquista . Suit une présentation du Codex Ixtlilxóchitl par Manuel Hermann Lejarazu. Le titre de ce document fait référence à son illustre propriétaire, Fernando de Alva Ixtlilxochitl (1578
Au cœur de la zone archéologique de Tulum, dans l'État de Quintana Roo, une équipe de chercheurs de l'Institut national d'anthropologie et d'histoire (INAH) a fait une découverte extraordinaire. Alors qu'ils travaillaient dans le cadre du Programme de Mejoramiento de Zona Arqueológicas (Promeza) sur des sondages préalables à un nouveau sentier pour les visiteurs, une entrée de grotte cachée derrière un rocher a été mise au jour.  Enterrements 6 et 9. Photo : Proyecto de investigación Promeza, Tulum / Jerónimo Aviles Olguin. La découverte de cette grotte, située à l'intérieur de la zone fortifiée de Tulum, a été le point de départ d'une exploration qui a révélé des éléments remarquables. Lors des travaux de dégagement pour aménager un nouveau sentier entre les bâtiments 21 et 25, l'équipe a identifié une entrée scellée par un énorme rocher. En retirant ce dernier, ils ont révélé l'entrée d'une cavité jusqu'alors inconnue. À l'intérieu

Conférence au Musée d'Histoire Mexicaine de Monterrey

Un peu de pub pour notre chapelle. Après-demain, votre serviteur aura l'honneur de participer pour la troisième année consécutive aux Cuartas Jornadas de Estudios Mexicanos, organisées par l'Universidad de Monterrey au Museo de Historia Mexicana, dans le centre-ville de la Sultana del Norte. Au programme cette année, il sera question du "Passé préhispanique aux temps du Porfiriat et de la Révolution". Il s'agit simplement de présenter à un public non-spécialiste comment s'est forgée l'identité nationale mexicaine au moment du pouvoir autocrate de Porfirio Diaz en 1884 et 1910. Au delà de la redécouverte et de la réappropriation du passé préhispanique, on expliquera notamment la systématisation des études archéologiques et anthropologiques à cette époque. Je cherche d'ailleurs une revue pour publier la version de l'article que j'ai rédigé pour l'occasion. Si vous avez des contacts, envoyez-moi un courriel. Au pire des cas, j'utiliserai